Le silence règne. Pas celui du répit, mais un silence suspendu, prêt à se briser au moindre souffle. Dans une cavité naturelle dissimulée sous les décombres du sanctuaire, Clara a trouvé refuge avec Thomas. Une grotte à peine assez grande pour deux corps blessés, protégée par des racines épaisses et des pans de roche instable.
Thomas (agonisant, entre deux halètements) : J'ai l'impression… que ma chair brûle encore.
Clara (inquiète, concentrée) : C'est la résonance du Néon. Ton corps a absorbé plus que prévu. T'as repoussé les limites, idiot.
Elle presse une main sur sa poitrine, juste au-dessus d'une plaie noircie. Une énergie froide pulse sous ses doigts. Le souffle de Thomas est erratique. Son torse se soulève à peine.
Clara (murmure, presque un aveu) : Si t'avais pas été là… je serais morte.
Thomas (sourire douloureux) : Pas moyen… que je te laisse seule… pas maintenant.
Elle l'allonge doucement, posant sa main sur son front brûlant. Sa magie n'est pas faite pour soigner, mais elle tente. De petites lueurs bleues s'échappent de ses doigts, s'enfonçant lentement dans sa peau. Les veines de Thomas cessent de pulser violemment.
Clara (épuisée mais déterminée) : Tiens bon. Juste un peu… encore.
Thomas (yeux mi-clos) : Tu pleures ?
Clara (défensive, mais la voix tremble) : Non. C'est la poussière. Idiot.
Elle détourne les yeux, mais ne retire pas sa main. Les larmes, silencieuses, coulent malgré tout. Elle sait que ce qu'il a subi aurait dû le tuer. Mais quelque chose le retient encore.
Clara (voix basse, comme une promesse) : Tu vas pas mourir ici. Pas maintenant. Pas tant que je suis là.
Les heures passent lentement. Le feu qu'elle a allumé ne réchauffe pas, il éclaire à peine. Mais c'est suffisant pour maintenir l'illusion de sécurité. Thomas dort, inconscient. Clara veille, les yeux fixés sur l'entrée de la grotte. La faille du Néon est encore visible au loin, lueur sinistre au fond de l'horizon.
Clara (à elle-même, accablée) : Qu'est-ce qu'on a réveillé… ?
Un froissement. Un murmure. Elle se fige. Mais ce n'est pas une menace. C'est la voix.
L'Autre (dans sa tête, sinistre et doux) : Tu l'as sauvé… mais tu ne pourras pas tous les sauver.
Clara (à voix haute, furieuse) : Sors de ma tête.
L'Autre (rictus intérieur) : Tu n'as plus de tête. Tu es fracture. Tu es ouverture.
Elle se lève brusquement, s'éloignant du feu. Son ombre tremble contre les parois de la grotte.
Clara (haletante, les mains sur les tempes) : Non. Tu ne me contrôles pas.
L'Autre (calme, patient) : Je n'ai pas besoin. Tu viens à moi. Tu m'ouvres la voie.
Un spasme. Sa main se crispe. Une lumière rouge pulse dans sa paume. La Brèche… Elle recommence à brûler.
Thomas (faiblement, en se redressant avec difficulté) : Clara… ? Qu'est-ce qui se passe ?
Clara (panique maîtrisée) : Rien. Rendors-toi.
Thomas (la voix plus ferme malgré la douleur) : Clara… regarde-moi.
Elle se tourne. Ses yeux brillent de larmes mêlées à une peur ancienne. Il tente de se lever. Elle l'arrête d'un geste.
Clara (désespérée) : Tu dois rester couché. T'es encore faible.
Thomas (la fixant, sérieux) : Je suis pas aussi faible que toi tu crois. Dis-moi ce que tu vois.
Clara (résignée, vidée) : Je vois… un gouffre. Une voix qui gratte ma peau. Une main qui veut me tirer de l'autre côté.
Thomas (doucement) : Alors on reste ensemble. Et si tu tombes… je tombe avec toi.
Elle baisse les yeux. Une chaleur familière renaît dans sa poitrine. Fragile, mais là. Elle l'aide à se redresser. Ils restent assis côte à côte, appuyés contre la roche, le feu craquant doucement entre eux.
Clara (calme amer) : L'Épine-Mère… C'est là qu'il nous attend.
Thomas (hoche lentement la tête) : Et c'est là qu'on ira. Pas parce qu'on veut. Parce qu'on doit.
Clara (regard sombre, hésitante) : Tu sais… Thomas… tu as tué l'Entité.
Un silence lourd s'installe.
Thomas (faible, presque incrédule) : Oui. Mais… est-ce que c'est vraiment fini ? Ou juste un autre début ?
Clara (soupir) : C'est pire que ça. L'Entité était un verrou. Ce qu'on a libéré… c'est quelque chose de plus ancien. Plus grand. Plus terrible.
Thomas (regard dans le vide) : Alors… on a sacrifié beaucoup, pour rien ?
Clara (douleur et colère mêlées) : Non. On a gagné une bataille. Mais la guerre… elle ne fait que commencer.
Thomas baisse la tête. Il inspire difficilement. Puis, dans un geste lent, il ouvre sa main. Une trace noire serpente encore le long de ses veines. Clara la regarde, figée.
Clara (voix basse) : Tu n'es pas sorti indemne, hein ?
Thomas (amer) : Personne ne sort jamais indemne. On fait juste semblant. Jusqu'au jour où tout craque.
Clara s'approche davantage. Elle touche sa main, malgré la chaleur résiduelle. Un courant passe entre eux. Silencieux. Vrai.
Clara (doucement) : Tu n'es pas seul. Même si tu crois l'être.
Thomas (regard dur) : Et toi ? Tu comptes me dire ce que cette voix veut vraiment ? Ce qu'elle est ?
Clara (détourne les yeux) : Elle veut que je rompe. Que je cède. Que je devienne… un pont.
Thomas (à peine un murmure) : Alors on lui coupera les fondations.
Un instant de silence les enveloppe. Le feu crépite. La grotte semble respirer avec eux. Puis Clara soupire et s'effondre contre lui. Fatiguée. Épuisée.
Clara (voix étouffée) : Je suis désolée de t'avoir entraîné là-dedans.
Thomas (ferme, sincère) : Je suis venu parce que je l'ai choisi.
Clara (regard perdu dans les flammes) : L'Épine-Mère va tenter de nous briser. Elle sait déjà qui on est.
Thomas (sourire triste) : Alors on lui montrera ce qu'on est devenus.
À l'extérieur, le vent recommence à hurler. Des ombres rampent entre les fissures du monde. La faille pulse. Et au fond du ciel, l'éclat rouge de l'Épine-Mère les appelle.
Ils se relèvent lentement. Thomas s'appuie sur Clara. Elle prend son sac, l'attache autour de sa taille, puis se retourne une dernière fois vers l'abri. Une dernière trace d'humanité, effleurée du bout des doigts.
Clara (voix grave, déterminée) : Plus de fuite.
Thomas (regard droit, brûlant) : On l'affronte. Ensemble.
Et ils marchent, côte à côte, vers la dernière porte.